Les lecteurs assidus de la jurisprudence administrative n'ont pas raté cet arrêt de fin d'année 2023, qui enfin clôture (à moins d'un recours au Conseil d'Etat) des discussions interminables et vaines sur la devise de la laïcité .
1- Rappelons les faits
Le Maire d'une commune d'Ile de France avait ajouté sur la façade de sa mairie et sur les accès des écoles publiques, le mot "laïcité " à la devise de la République. C'est d'ailleurs une habitude fréquente chez des responsables politiques et surtout ceux qui veulent être plus républicains que les républicains, d'ajouter "laïcité" au tryptique de notre République et même de soutenir que c'est une preuve de "vrai" attachement à la Laïcité. Mais le préfet du département est intervenu pour demander au maire de retirer cette mention
Evidemment le maire refuse ... et l'affaire va devant le Tribunal administratif de Versailles qui donne raison au Préfet. Qu'à cela ne tienne : le maire fait appel de la décision. La Cour d'Appel de Versailles qui se prononce le 15 décembre 2023 ....confirme le jugement du tribunal administratif. On ne sait pas si le Maire ira devant le Conseil d'Etat en dernier ressort.
2- Quelle est la logique de ces décisions de l'ordre administratif ?
Les juges administratifs n'ont pas eu de grandes difficultés à trouver leur décision. En effet , quelle est la devise de la République ? Celle que donne la Constitution dans son premier article : "Liberté Egalité Fraternité". Un point, c'est tout ! La laïcité n'est invoquée que plus tard, dans l'article qui donne les quatre caractéristiques de notre République : elle est "indivisible, démocratique, laïque et sociale" .
Les choses sont on ne peut plus claires : le tryptique républicain donne les trois mots essentiels qui remontent à la Révolution, avec il faut le dire un petit décalage entre Liberté Egalité datant des tous débuts et Fraternité qui arrive un peu plus tard, soutenu d'ailleurs par un beau discours de Robespierre. Et ce tryptique traverse notre histoire depuis.
En revanche, les adjectifs qui précisent cette République sont plus tardifs. L'Unité qui au départ s'inscrit comme "Un et indivisible" des années 1792 précède largement les trois autres termes : "démocratique mais surtout Laïque et Sociale" nous renvoient au XIX° siècle : d'abord Social dès 1848 , puis laïque après 1905 ! On mesure la différence ici qui naît de l'évolution politique de notre régime politique.
On comprend bien alors que les deux qualificatifs de la République, le tryptique puis les quatre qualités , n'ont pas le même sens. La devise, celle qui n'a pas changé depuis deux siècles, est bien la devise de la République à l'exclusion de tout autre ajout. Et d'ailleurs, pourquoi vouloir à toute force ajouter la laïcité ... et pas la Démocratie ou le caractère social de notre régime ? Voila qui est curieux.
3- Allons plus loin
Il ne s'agit pas d'une discussion de mots ! mais bien d'une présentation de la République sous deux angles différents .
Le tryptique nous renvoie aux VALEURS fondamentales de la République : sans ces trois mots , il n'y a pas de République en France et ce n'est pas un hasard, si un régime comme celui du maréchal Pétain a assassiné ce tryptique pour le remplacer par trois autres "valeurs" Travail famille Patrie, qui énoncent bien un tout autre type de société ! Ces trois mots sont bien l'essence de notre République, et les oublier ou en oublier un seul menace notre régime. C'est ce que rappellent nos frontons de Mairie et d'Ecole ou d'autres batiments publics (quelquefois même des églises ... ainsi décorées au moment de la Révolution). Nul besoin d'ajouter quoique ce soit.
En revanche les quatre qualificatifs que l'on trouve dans la Constitution pour préciser ce nouveau régime témoignent de PRINCIPES qui montrent la trace du temps qui s'est écoulé depuis le Révolution, enrichissant notre régime de modalités d'expression nouvelles, de modes de fonctionnement modernes. On pourrait même rajouter l'Ecologie, dont l'affirmation dans la constitution est récente et trouve une place inattendue dans le texte constitutionnel sous la forme d'une Charte. On voit bien ce qui sépare les Principes des Valeurs : les premiers héritent d'une histoire récente et constituent des modalités pratiques de l'organisation nouvelle des pouvoirs publics alors que les secondes sont quasi "éternelles" , fixant la nature même du régime. Avant la laïcité et avant l'invention du "social", il y avait déjà la République, mais celle-ci n'était pas dotée de moyens propres à mettre en oeuvre réellement les droits portés par le tryptique. La modernité des Principes qui ont été rajoutés donne du sens à la qualité des Valeurs qui fondent le régime politique français (Contribution du professeur Michel Miaille, avec son accord)